Rencontre avec Sandra, danseuse orientale et reine de l'improvisation

Merci à Sandra, danseuse, chorégraphe et professeure de danse orientale, pour ses réponses détaillées et captivantes à notre interview.

Vous êtes une danseuse et professeure de danse orientale très réputée en France. Comment est née cette passion et comment l’avez-vous cultivée au fil des années ?

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Cette passion est née via mes origines familiales étant donné que j’ai grandi dans le milieu de la musique orientale. Mon père a animé les plus grandes soirées orientales à Paris dans son cabaret et a été le producteur d’un célèbre orchestre égyptien dans les années 70 : L’orchestre d’Abdel Aziz Mahmoud. Ma mère, chanteuse, interprétait quant à elle des chansons d’Oum Kalthoum et des classiques égyptiens.
sandra-01.jpgDès mon enfance, j’ai donc côtoyé des stars de la musique et de la danse orientale. Et dans les années 80, je me rendais régulièrement avec ma mère au Caire où j’ai appris à perfectionner ma technique de danse orientale avec des chorégraphes de renom comme Sammy Abdelhalim, Ibrahim Akef et bien d’autres…
J’ai étudié la danse et les répertoires pendant 10 ans à l’Académie des Arts et du théâtre du Caire. Je suis aujourd’hui chorégraphe, maître de danse et professeure certifiée.
sandra-08.jpgComment ai-je cultivé ma passion ? En 1986, j’ai créé la “Méthode Sandra” basée sur une codification et une classification des répertoires, une méthode d’enseignement de la danse orientale allant du niveau débutant à professionnel mettant avant tout en exergue l’écoute musicale.
Avoir codifié la danse orientale avec des règles d’interprétation pour comprendre et accéder à l’improvisation (règles vocales, instrumentales et orchestrales), avoir développé puis faire-valoir une méthode permettant aux danseuses orientales professionnelles et futures enseignantes d’enseigner grâce à un outil constructif, a été et continue d’être une réelle passion.
sandra-04.jpgEn 1996, je m’établissais à Nice pour créer l’Académie de Danse Orientale Côte d’Azur où j’enseigne toujours. Je transmets mon art dans tous les styles mais suis spécialisée dans le “TARAB”, un autre coup de coeur. J’aime par-dessus tout la profondeur, la beauté, la pureté du mouvement et du geste, l’expression, l’émotion que le corps dégage à l’interprétation. Je supporte mal l’erreur, quelle soit liée à la technique ou à l'interprétation vocale et instrumentale, mais aussi un bras mal placé, un mouvement maladroit, une hanche faible, un bassin léger...
Aujourd’hui, je perpétue mon art avec la même exigence et le même engouement.

Comment expliquez-vous le succès de la danse orientale ?

sandra-03.jpgToutes les danses et disciplines dansées connaissent à mon sens un vrai succès, et donc pas particulièrement la danse orientale... même s'il est vrai qu'elle plaît à beaucoup de femmes de toutes origines et classes sociales.
Pour moi, la danse orientale n’est pas une mode. C’est tout simplement une culture, une attitude, une expression, une émotion voire une manière de vivre : "Ta façon de danser reflète ta personnalité"
De par mon expérience de professeure, j’ai ainsi pu analyser au fil des années les motivations des femmes qui viennent s’inscrire à un cours de danse orientale :
- parce qu’on est de cette origine, de cette culture, la musique nous rappelle nos grands-parents, nos parents…
- parce qu’on est une "orientale" et que l’on veut se perfectionner pour les soirées en famille, entre amis…
- parce qu'on veut plaire à son mari car on est issu d’un mariage mixte…
- parce qu’on a découvert cette danse lors d’une soirée… La danseuse orientale, avec ses mouvements onduleux et son contrôle du bassin très spectaculaire, donne envie d’essayer.
sandra-05.jpgEt puis il y a celles qui n’ont rien à voir avec tout ça et qui découvrent un peu par hasard à quel point la danse orientale est sensuelle, féminine et gracieuse, comment la danse orientale donne l’opportunité à toutes les femmes de se découvrir, de mieux connaître leurs corps à travers ses formes et surtout de "s’aimer". Cette discipline transforme parfois leur vie. 
En dehors de cela, j’ai l’impression que la danse orientale est aussi un business aujourd’hui au travers de tous les nombreux festivals et autres stages et ateliers organisés dans le monde…
Malheureusement selon moi, les réseaux sociaux nous montrent une danse orientale moderne telle que je n’aurais jamais voulu la voir, une réelle déviation de style et d’interprétation… Alors succès ou pas, j’espère ne jamais assister à la fin de la danse orientale purement égyptienne.

Quels conseils pourriez-vous donner aux danseuses orientales au sujet de l’interprétation ?

sandra-06.jpgLe premier que je donnerais à toutes les danseuses est : "S’il vous plaît, privilégiez l’écoute musicale pour accéder à l'improvisation".
En effet, en tant qu’enseignante en danse orientale, je cherche avant tout à transmettre les règles pour y arriver car improviser est un art. On pourrait même considérer l’improvisation comme le plus haut degré de la composition tant la réflexion et l’exécution y sont inséparablement mêlées. L’attitude de la danseuse orientale face à l’instant présent est la clé de la compréhension de l’improvisation. sandra-07.jpgPrivilégiez avant tout l’étude des règles d’improvisation, c'est à dire une attitude d’écoute, de pleine conscience de l’instant, d’ouverture au possible et aux imprévus, plutôt qu’une forme gestuelle, une mise en scène ou un procédé de composition.
La danse orientale est "une expression corporelle et non pas une performance corporelle". On assiste de plus en plus aujourd’hui à de la gymnastique sur scène au détriment de l’artistique… L’improvisation est une "présence à l’instant et non pas dans l’instant", c’est une "présentation plutôt que de la représentation".
En résumé, dansez avec votre cœur, votre âme, vos idées, vos expressions, vos émotions, vos compositions, et non celles des autres, arrêtez le copier-coller.

Vous avez récemment créé une comédie musicale, pouvez-vous nous en dire plus sur ce spectacle de danse orientale ?

Durant mes 33 années de carrière en tant que danseuse puis professeure chorégraphe de danse orientale (et qui ont été pour moi une vraie source de bonheur et de partage), j’ai toujours rêvé de faire une comédie musicale qui rendrait hommage à l’Égypte (le foyer de cet art en Orient) et aux belles années 40-50 du Caire, devenue la capitale des spectacles. 
Nourrie toute mon enfance par les comédies musicales et films de l’âge d’or du cinéma égyptien dans lesquels les danseuses orientales étaient véritablement glorifiées, j’ai découvert et adoré la célèbre danseuse orientale Samia Gamal et le chanteur Farid El Attache… Ces derniers étaient amants, amoureux à la vie comme à la scène, mais ne pouvaient se marier à cause de leur différence de classe sociale et de religion. J’ai donc créé une comédie musicale inspirée de cette histoire, un spectacle inédit mêlant musique, chant, théâtre, danse et chorégraphies, intitulé "AHWAK" (je t'aime). On y retrouve ce mariage impossible en raison d'abord de la différence de classe sociale mais aussi du véritable paradoxe de l'époque qui est celui-ci : Une danseuse orientale, on vient l’admirer, on l’applaudit, on l’invite à l’événement le plus important d’une vie... et en même temps, on ne voudrait surtout pas qu’elle soit mariée à notre fils et qu’elle fasse partie de la famille.
Samia est interprétée par moi-même, et Farid par le chanteur libanais Mickael-Jamal (mon complice sur scène depuis plus de 15 ans).
Cette comédie musicale met donc en avant ce dilemme : Je t’aime, je veux t’épouser... à condition que tu ne danses plus. Et finalement, l’amour pour la danse orientale est plus fort que tout !
Le spectacle raconte aussi le quotidien d’un groupe de femmes, danseuses orientales complices, qui se produit tous les soirs au Casino Opéra dirigé par Badia Masabni.
En ce qui concerne le choix des musiques, celui-ci oscille sur des morceaux allant de 1920 à 2019, pour exprimer la faculté qu'a la danse orientale à voyager à travers le temps et les différents courants musicaux.
Plusieurs tableaux sont présentés : La rencontre sur une plage entre Samia et Farid, le hammam, la préparation des filles dans les loges du Cabaret Opéra, le solo de Farid, le solo de Samia, la prestation des danseuses orientales au Casino Opéra. Ce dernier est l’un de mes plus beaux tableaux puisqu’il reproduit la scène où Samia Gamal danse avec sa troupe sur des immenses Darbouka…
Les costumes de danse orientale des différents styles égyptiens (classiques, populaires, folkloriques) y figurent.

Quel est votre artiste de danse orientale préféré(e) ? Quel est également votre titre favori pour danser ? 

Je n’ai pas spécialement de danseuse orientale préférée, mais celles que j’apprécie le plus sont celles de l’époque dite de l’âge d’or égyptien : Samia Gamal, Tahiat Carioca, Naima Akef et les autres… Je les aime pour leur âme dans la danse ainsi que pour leur interprétation si pure et vraie du chant et de la musique. Comme vous avez pu le constater, je reste puriste tant pour ma propre danse orientale que pour mon enseignement de cette discipline car selon moi, tout est une question d'attitude.
Quant à mon titre favori, c'est "SERET EL HOB" d’Oum Kalthoum - "HISTOIRE DE L’AMOUR".

Quels sont vos rêves liés à la danse orientale ?

Je pense aujourd'hui avoir réalisé la majorité d’entre-eux : La scène avec mes différentes productions, l’enseignement avec la création de ma méthode pour accéder à l’improvisation, mon école de danse orientale qui a connu plus de 2000 adhérentes, mes voyages à travers le monde pour transmettre mon savoir…
Le seul rêve qu’il me reste encore à accomplir, c’est un concert avec plus de 50 musiciens mais aussi danseurs et chanteurs du monde entier afin de rendre hommage à mon père et à ma mère…
Tout ce que j’ai accompli dans ma carrière, c’est grâce à mes parents… Ce que je suis aujourd’hui et demain, c’est aussi grâce à eux à travers leur passion et leur amour pour la musique et la danse égyptiennes. En me transmettant tout cela, ils m'ont fait le plus beau des cadeaux…

Publié dans: Danseuses orientales

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